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Inter-religieux
« L’objectif n’est pas de parvenir à un accord ou à un compromis sur la foi des uns et des autres, mais d’apprendre à vivre les rencontres. » Geneviève Comeau, religieuse xavière et professeur de théologie nous donne quelques clés.
Qu’est-ce que le dialogue interreligieux ?
« Ce n’est pas un dialogue entre religions ou institutions, mais entre des personnes qui appartiennent à des religions différentes et reconnaissent leur égale dignité humaine. Le dialogue est une rencontre qui devient parole, où il y a respect et écoute réciproques, et qui comporte des enjeux existentiels. Ce n’est ni une négociation sur le contenu de la foi, ni un débat où on chercherait à marquer des points, ni une tentative de convertir l’autre. C’est une attitude profonde, marquée par le désir de rencontrer l’autre dans sa différence. » [1]
« DIALOGUER, ce n’est pas renoncer à sa foi ; ce n’est pas l’atténuer, chercher des compromis. Ce n’est pas tomber dans le syncrétisme qui tenterait de réunir, pêle-mêle, des aspects de diverses religions. Dialoguer, ce n’est pas non plus chercher à établir une grande charte commune, que chaque religion pourrait signer ; un tel rêve est irréaliste, et n’est pas non plus souhaitable. Car les religions ne sont pas des entités parallèles les unes aux autres. » [2]
Des attitudes très concrètes
« Cela passe par des attitudes très concrètes : la manière de parler de l’autre, le souci de dépasser les amalgames et les stéréotypes, ainsi que le désir d’approfondir sa propre foi et les ressources qu’elle donne pour une rencontre de l’autre en vérité. » (religions, Ibid., p.79)
[On interprète tout sa propre religion]
« Les rencontres interreligieuses ne sont pas exemptes de tout « risque identitaire ». Pour s’en prémunir, il convient de se souvenir qu’on n’a jamais affaire seulement à « un chrétien » ou à « un musulman », mais à un être humain qui est un homme ou une femme, qui a reçu telle ou telle éducation, qui est marqué par telle ou telle histoire. Par ailleurs, une tradition religieuse est aussi une réalité complexe : plusieurs courants, plusieurs sensibilités se sont développés dans l’histoire au fil du temps, et aujourd’hui aussi selon les aires culturelles ou les préférences personnelles.
Par conséquent, aucune personne ne peut représenter à elle seule sa religion ; il n’existe pas de « Monsieur islam » ni de « Madame christianisme ». On peut bien sûr chercher des personnes qui connaissent bien leur tradition religieuse et qui aient une voix autorisée pour en parler, mais on ne peut identifier ces personnes à leur religion, ni leur religion à ces personnes. Oublier cela serait réducteur et enfermant, à la fois pour la personne et pour sa religion.(dialogue, Ibid., p.9-10) »
[Une aventure qui bouscule]
Le dialogue interreligieux est une aventure qui ne laisse pas indemnes ceux qui y participent : elle bouscule, élargit, enrichit, et peut aussi déranger, irriter, déstabiliser. Le dialogue interreligieux a sa dignité en lui même, il « n’est pas la conséquence d’une stratégie ou d’un intérêt », disait Jean-Paul II dans l’Encyclique Redemptoris Missio, mais « il est demandé par le profond respect qu’on doit avoir envers tout ce que l’Esprit, qui “souffle où il veut”, a opéré en l’homme ». Il est comme un horizon qui inspire et stimule les diverses rencontres interreligieuses dans leur balbutiement et leur inachèvement. (Ibid., p.12)
[L’impact des cultures et du contexte]
Les rencontres interreligieuses, qui ne sont pas toujours « dialogue » mais peuvent le devenir, sont bien souvent aussi des rencontres interculturelles. Car religion et culture entretiennent des liens étroits et complexes. Ainsi, la modernité occidentale a mis en place une manière critique de se rapporter à la religion (critique historique et littéraire des textes fondateurs, etc.), mais cette manière de faire n’est pas universellement partagée. Or, certaines rencontres interreligieuses risquent de tourner au dialogue de sourds, si l’on n’a pas conscience de cette différence, qui est en partie d’ordre culturel. (Ibid.)
[Des affinités selon le milieu culturel]
Plusieurs religions peuvent coexister dans un même espace culturel, tandis qu’une même religion peut se vivre dans des cultures différentes. Il nous arrive de sentir des affinités avec quelqu’un d’une autre religion mais de la même culture que nous, davantage qu’avec un coreligionnaire venant d’une autre culture. Cette question de sensibilités culturelles est à prendre en compte. (Ibid., p.14)
Le contexte social et politique compte également. Ainsi les rencontres entre juifs et chrétiens ne peuvent pas se vivre de la même façon en Europe et en Israël. En Europe, on peut tenter de relire ensemble l’histoire douloureuse d’un passé multiséculaire, et s’engager dans des relations désormais fondées sur l’amitié et la confiance. En Israël, les frontières de la peur et de l’humiliation séparent les communautés, même si les signes d’espérance ne manquent pas. De manière analogue, les relations entre chrétiens et musulmans sont vécues différemment selon les pays :
- En Afrique du Nord, les communautés chrétiennes sont formées surtout d’expatriés.
- En Orient, elles font partie intégrante de l’histoire de la région.
Tout cela joue bien sûr dans la manière d’aborder le vivre ensemble. L’Europe, qui offre un espace important de démocratie et de liberté religieuse, est encore un autre cas de figure pour les relations islamo-chrétiennes. Bref, les facteurs sociaux, politiques, économiques, culturels, sont le terrain concret où se vivent les rencontres ; réciproquement, les rencontres interreligieuses peuvent agir sur le terrain, pour des enjeux de paix, d’éducation, etc. (Ibid., p.14-15)
Geneviève Comeau, Le dialogue interreligieux, Éditions Fidélité, 2008, 87 pages. Ce livre a pour objectif de présenter le dialogue interreligieux, les conditions pour son bon déroulement, les buts qu’il poursuit, et les questions et réflexions nouvelles qu’il [nous ouvre].
Du dialogue des religions au dialogue des convictions
Au Conseil de l’Europe, un dialogue a été initié entre des organisations internationales non gouvernementales (OING) [3] se réclamant de traditions religieuses diverses (chrétiennes, juives, musulmanes, bouddhiques), et de membres qui ne se comprennent pas en référence à une problématique religieuse, et qui se sont associés à partir de croyances et de convictions communes, humanistes, philosophiques, agnostiques, ou autres.
« Très vite, au cours de nos échanges, nous avons compris que l’expression ‘dialogue interreligieux’ ne nous convenait pas, puisqu’il excluait celles et ceux d’entre nous qui ne se reconnaissent pas comme appartenant ou référés à une religion instituée : nous avons commencé à parler de nos convictions respectives, de groupes de conviction, et à nous comprendre comme pratiquant un ‘dialogue interconvictionnel’ [4] ».
Ce dialogue interconvictionnel permet de prendre en compte la pensée et l’expérience de groupes de convictions non religieuses et de groupes de conviction qui ont pris une certaine autonomie par rapport à leur institution. En effet « les autorités non élues des religions revendiquent le monopole de la parole et de la représentation des citoyens fidèles de cette religion et seules ces autorités sont reconnues par les États au seul titre de l’exercice du culte [5] ».
par , mardi 2 octobre 2018
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[1] Geneviève Comeau, S’asseoir ensemble : les religions, sources de guerre ou de paix ?, Médiaspaul, 2015, p.79. (ISBN : 2712213653, 9782712213657).
[2] Geneviève Comeau, Le dialogue interreligieux, Éditions Fidélité, 2008, p. 7. (ISBN : 2873564024, 9782873564025)
[3] L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) est une institution fondée sur le partage d’une langue, le français, et de valeurs communes. Elle rassemble 84 États et gouvernements.
[4] Bernard Quelquejeu, « Les convictions partagées dans l’espace politique. Quelques discernements sémantiques et sociologiques », intervention au colloque « Devenir citoyens et citoyennes d’une Europe plurielle : Espaces et pratiques interconvictionnelles » le 24 janvier 2012 à Strasbourg.
[5] Programme de la Journée d’études « Devenir citoyens et citoyennes d’une Europe plurielle : Espaces et pratiques interconvictionnelles » le 24 janvier 2012 au Conseil de l’Europe (Strasbourg)